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Giornate degli Autori

Discussion avec le jury du Label

18/09/2020

Chaque année, les pays de l’UE sont représentés à Venise par un jury composé de jeunes femmes et hommes venus de toute l’Europe sous l’initiative 27 Times Cinema. Les 27 jurés sont sélectionnés parmi le public des salles du réseau Europa Cinemas. Ils ont notamment pour mission de décerner un prix au meilleur film des Giornate degli Autori. Les 27 ont parlé au jury du Label Europa Cinemas composé d'Octavio Alzola (Cines Renoir), Silke Bomberna (Sphinx Cinema), Gabriele Ciglia (Cinema Nuovo) et Mirona Radu (Cinema Muzeul Taranului), de leurs expériences individuelles de travail dans leurs cinémas, et de la façon dont se concrétise leur collaboration en tant que jurés de la dix-septième édition du Label Europa Cinemas à Giornate degli Autori.

Giornate degli Autori

Rowan : Cette édition du Festival du film de Venise a été particulière, compte tenu de toutes les précautions qui ont été prises pour pouvoir garantir la santé et la sécurité des participants. Comment la situation a-t-elle changé votre travail dans vos salles ? Quelles mesures avez-vous dû prendre ?

Silke : Pour mon cinéma par exemple, nous avons ouvert alors que les masques n'étaient pas encore obligatoires, donc le nombre de visiteurs n'avait pas changé pour nous la première semaine. Quand les masques sont devenus obligatoires, l’affluence a fortement diminué. Ces jours-ci, il y une amélioration, mais lente. Nous ne devons plus laisser qu’un seul siège vide entre les spectateurs, contre deux auparavant. Je pense que les gens reviennent lentement mais sûrement.

Octavio : Nous avons des cinémas à Madrid et à Barcelone. Pour la réouverture, nous avons fait une grande campagne marketing. Ça s'est très bien passé. Nous avions une programmation spéciale pour l’occasion et nous avons été parmi les premiers à rouvrir en Espagne. Mais nous n'avons pas ouvert tous nos cinémas en même temps. Avec les mesures de sécurité, nous sommes actuellement à 50 % de capacité. Nous pourrions être à 75 % mais nous préférons rester à 50 % en raison du sentiment de sécurité des visiteurs. Les gens viennent généralement dans l'un de nos cinémas pour voir s'il est sûr et reviennent ensuite pour d'autres projections.

Rowan : J'ai aussi remarqué cela chez mes amis. C'était un grand pas de revenir pour la première fois, mais une fois qu'ils sont retournés au cinéma, ils ont réalisé que la sortie en salle leur avait vraiment manqué.

Octavio : Le cinéma est un endroit sûr. Ils font un excellent travail ici à Venise. Vous êtes assis sans personne à votre gauche ou à votre droite, vous ne parlez à personne. Vous devez porter votre masque, et juste regarder l'écran.

Gabriele : Je travaille en Italie, donc nos cinémas ont été les premiers à fermer. Pendant l'été, nous avons organisé des projections en plein air. Au début, ça s'est très bien passé, surtout en juillet. Mais en août, la fréquentation a commencé à baisser. Maintenant, nous prévoyons de rouvrir nos cinémas. Ce n'est pas facile parce que nous devons trouver un équilibre entre la sortie en salle et la gestion de la situation. Nous organisons tout pour faire du cinéma un espace sûr où les gens peuvent venir et profiter des films.

Mirona : Je viens de Roumanie et nous avons ouvert des cinémas en plein air à la fin du mois de juillet. Et depuis début septembre nous sommes autorisés à ouvrir les cinémas mais avec des mesures strictes. C'est pourquoi j'ai dit à mon équipe de garder le cinéma en plein air ouvert le plus longtemps possible. Les gens en Roumanie ont peur car les cas ont augmenté ces dernières semaines. Je ne sais pas ce qui va se passer. Quand nous sommes revenus avec les projections en plein air, nous avons montré quelques films roumains dont la distribution avait été arrêtée, parce que, pour ceux-là, nous avons pu organiser des débats et des présentations avec les réalisateurs.

Daniel : En tant qu'exploitants et membre du jury, quels sont vos critères pour choisir le Label Europa Cinemas ?

Gabriele : L'essentiel est la qualité du film qui, à mon avis, et je pense que mes collègues sont d’accord, tient à la structuration de l’intrigue. Certains films n'ont pas cette qualité, donc nous regardons aussi l’image, s'il y a quelque chose d'intéressant dans la photographie ou dans la réalisation.

Mirona : Et nous devons aussi prendre en compte le potentiel du film en salle. Nous sommes des cinémas art et essai et nous représentons les cinémas européens, donc nous devons envisager la sortie dans différents pays européens. 

Silke : Pour moi aussi, et les autres seront d'accord je crois, le film doit provoquer une réaction émotionnelle. Le dialogue m'a-t-il fait penser à quelque chose, ai-je été éblouie par la cinématographie, ai-je vraiment aimé le jeu des acteurs, une performance m’a-t-elle vraiment touché?  Ma réaction n’est pas forcément positive, mon sentiment peut aussi être du dégoût. Puis je commence à réfléchir à la raison pour laquelle j'étais si dégoûtée ou si émue. Enfin, je commence à penser à l'intrigue, au jeu des acteurs, etc.

Mirona : Je réfléchis aussi à la façon dont je peux le promouvoir. Peut-être que le film est génial mais pas si facile à promouvoir. Le principal critère est de savoir si le film est nécessaire à son public. Nous avons aussi la responsabilité d'amener des voix importantes dans le cinéma et peut-être de découvrir de nouvelles voix et de soutenir un cinéma de niche. Ce Label pourrait aider les gens à comprendre que ces films sont importants pour les cinéphiles.

Daniel : Comment le label peut-il jouer sur les entrées ? Ou peut-il aider le film d'une autre manière ?

Octavio : Il peut l'aider mais pas au niveau de ses recettes. Le public ne verra pas que le film a le Label. Il le comparera à la Palme d'Or ou à un prix de ce genre. Le Label a un effet sur les distributeurs européens et leur permettra de faire entrer plus facilement le film dans les salles de leur pays. Europa Cinemas communique aux cinémas que ce film a le label. Si le film est distribué dans un pays, une nouvelle communication est faite aux salles. Et, en tant qu’exploitant, vous savez que le film sera conforme aux critères d'Europa Cinemas et déclenchera un bonus. 

Rowan : Comment faites-vous la promotion d'un petit film européen, par opposition à un film d'un autre continent comme l'Amérique, l'Asie, etc. ? 

Silke : Trouver des partenaires et organiser des événements spéciaux autour des films européens, avoir un intervenant sur le sujet, cela aide toujours. Je suppose que le bouche à oreille et le buzz sont également importants. Nous avons eu HONEYLAND (dir. Tamara Kotevska, Ljubomir Stefanov) qui était très populaire. C’était inexplicable car c'est un film de niche. Je crois que, parfois, c'est juste de la chance. On peut essayer de promouvoir quelque chose et parfois ça marche, parfois ça ne marche pas.

Gabriele : Cela dépend du public. Dans ma ville, Varese, nous ne montrons que des films indépendants, pas les grands films américains. Il y a un multiplexe, donc les films sont répartis entre les différents cinémas en fonction de leur public spécifique. Au cours de l'année, nous organisons différents festivals autour de thématiques. C'est une façon de promouvoir les films auprès de différents publics.

Octavio : Pour nous, la promotion des films indépendants est très différente de celle des films américains. Les grands films américains ont leur propre campagne. Les bande-annonce sont diffusées à la télévision, il y a de grandes affiches dans toute la ville. Les films indépendants ne sont pas commercialisés comme ça. Parfois, nous utilisons nos propres espaces dans le cinéma pour promouvoir ces films et c’est suffisant. Un ou deux mois avant, nous avons des autocollants et des affiches prêts à être vus par les gens. Nous montrons aussi beaucoup les bande-annonce des films européens. L'année dernière, nous avons lancé un nouveau programme appelé "The Conversation", dans lequel nous montrons des films européens et espagnols. Nous avons un intervenant qui parle des sujets du film avant qu'il ne commence. Il n'est pas nécessaire que ce soit le réalisateur, ou l'auteur ou l'acteur/actrice du film. Parfois, c'est le cas, mais d'autres fois, nous pouvons avoir un photographe ou un expert en politique internationale, selon le film.

Mirona : Il faut garder à l'esprit que nous essayons de construire une communauté d'amateurs de cinéma art et essai, ce qui fait partie de la stratégie globale du cinéma.

Gabriele : Il est important de monter des partenariats et de faire la promotion de nos événements ensemble.

Silke : En ce qui concerne les films américains, nous avons un public très spécifique qui est très intéressé par le cinéma art et essai, donc seuls les films mainstream art et essai fonctionneront chez nous, comme TENET (Nolan) ou DUNE (Villeneuve). Les autres films américains intéresseront moins notre public car il est très axé sur les films art et essai.

Octavio : Pour les films américains, nous nous intéressons à des sociétés de production spécifiques et par exemple à des films qui ont bien fonctionné à Sundance, ou ici à Venise, comme NOMADLAND (Chloé Zao). Ce sont ces productions américaines qui intéressent notre public.

Daniel : En ce qui concerne le processus de promotion des films, quels ont été les films européens qui ont le mieux marché dans votre salle l’année dernière ?  Il y a eu tellement de bons films.

Octavio : Pour nous, c'était DOULEUR ET GLOIRE d'Almodóvar, c'était incroyable, presque une année non-stop en salle. Almodóvar lui-même vient dans notre cinéma à Madrid presque chaque semaine pour voir des films.

Rowan : Alors vous pouvez lui demander de venir pour un événement ?!

Octavio : [rires] Ce n'était pas nécessaire. Ceci dit, il est très discret, donc cela aurait été difficile.

Silke : Je dirais PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU (Sciamma), très populaire.

Daniel : Qu’est-ce qui a suscité d’après vous cette popularité ?

Silke : Après Cannes, beaucoup de gens en avaient déjà parlé. Comme c'est un drame en costumes, nous avons eu beaucoup de personnes âgées, et comme il s'agit de deux femmes amoureuses, les jeunes sont aussi venus le voir. Il s'adresse à un très large public.

Rowan : Je fais partie d'une plateforme qui vise à promouvoir le cinéma d’auteur auprès d'un public plus jeune, et nous, en tant que jury, représentons également ce public. J'ai remarqué, d'après ma propre expérience, qu'il peut être plus difficile de promouvoir les titres art et essai moins connus auprès de ce public. Quels sont vos astuces pour attirer ce public ? 

Octavio : Il y a une chose importante pour un public jeune et elle est très simple : c'est le prix. Nous avons réduit le prix de la place le mercredi et je peux dire que nous avons un public plus complet avec une population plus jeune ce jour-là. Par exemple, votre collègue Veronica, membre du jury, m'a dit qu'elle vient à notre cinéma tous les mercredis, et je comprends pourquoi.

Mirona : Malheureusement, il est très difficile de réduire le prix des billets, surtout en ce moment. Nous essayons de travailler avec des collaborateurs qui savent comment s'adresser à des publics spécifiques. En retour, nous pouvons leur donner un espace où ils peuvent projeter des films.

Daniel : Je pense que ce qui aiderait aussi, c'est un influenceur, qui serait invité à la projection du film et en ferait la promotion en ligne, pour toucher un public plus jeune.

Octavio : Nous essayons de faire cela de manière organique. A moins qu'il s’agisse du réalisateur du film et soit impliqué dans sa promotion. En général, nous n’acceptons ce genre de participation que de la part de spectateurs vraiment intéressés par le film et qui veulent poster sur lui.

Silke : Nous essayons de toujours avoir quelque chose dans notre programme qui attire les jeunes. Les films d’auteurs ont la réputation d'être un peu lents et un peu étouffants, mais il y a certainement des films qui attirent l'attention d'un jeune public. EMA de Pablo Larraín a très bien marché, et nous avons aussi eu MONOS (Alejandro Landes) l'année dernière, un super film.

Rowan : Je pense que c'est à nous d'essayer de maintenir ce niveau et de continuer à attirer ce public.

Silke : Je pense que vous êtes les personnes parfaites pour cela. Cela fonctionne beaucoup mieux quand les gens sont spécifiquement connus pour leur intérêt pour le cinéma lorsqu'ils font la promotion de films sur les réseaux sociaux.

Octavio : Parler à vos amis des films que vous avez appréciés, c'est ce qui a le plus d'influence.

Daniel : C'est ce que j'essaie de faire, quand je regarde un film dont je sais qu'il peut intéresser mes amis, je le recommande. En général, ils vont le voir.

Silke : Cela fonctionne beaucoup mieux qu'un influenceur aléatoire qui vous dit que vous devriez regarder un certain film. Le public se demande alors pourquoi il tiendrait compte de cet avis.

Gabriele : Nous avons des bénévoles qui sont très jeunes, un groupe composé de personnes qui ont moins de 25 ans, et qui proposent des projections qui s'adressent à un public jeune et présentent le film. Le public peut ainsi voir que les jeunes sont impliqués et c'est une occasion pour eux d'acquérir de l'expérience, d'améliorer leurs compétences et d'être plus confiants.

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Daniel Morawitz – Autriche

Rowan Stol – Pays-Bas

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