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CORPUS CHRISTI, interview

Giornate degli Autori

18/09/2019

CORPUS CHRISTI est une affaire de jeunes. Son réalisateur, Jan Komasa, a 37 ans et son scénariste, Mateusz Pacewicz, n’en a que 27. C'est le premier film de ce dernier. A l’occasion du festival de Venise, où le film a reçu le Label Europa Cinemas, le représentant de l’Irlande aux 28 Times Cinema s’est entretenu avec Mateusz. Depuis, le film a été sélectionné par la Pologne pour représenter le pays aux Oscars :

CORPUS CHRISTI, interview

Le public du festival de Venise a été impressionné par CORPUS CHRISTI qui a reçu le Label Europa Cinemas. Ce drame polonais raconte comment un jeune ex-détenu se fait passer pour un prêtre dans un petit village. Nombreux étaient les spectateurs à ne pas savoir que l'histoire était basée sur des faits réels.

« J'étais obsédé par les histoires de prêtres imposteurs en Pologne », raconte le scénariste Mateusz Pacewicz. « Ça se produit tous les ans, voire plus. Il y a constamment de nouveaux cas. C'est un phénomène social. Même à l’endroit où on tournait le film, on a découvert un cas de prêtre imposteur. C'est très fréquent ».

Selon Pacewicz, certaines personnes font ce genre de choses pour les raisons suivantes: « l’Argent est la première motivation. Je pense aussi à cette combinaison bizarre de prestige et de statut social. Mais, pour être capable de se faire passer pour un prêtre, une personne a besoin d'une certaine spiritualité ».

« Ce qui m'a fasciné depuis le début, c'est l’ambivalence qui mène à cette situation. Peut-être que le protagoniste agit ainsi juste pour l'argent. Peut-être aussi pour un gain émotionnel. Il a besoin de se sentir meilleur que ce qu’il est en réalité. Peut-être que la raison est tout autre. C’est cette multi dimensionnalité qui m'a permis de continuer à travailler sur l'histoire ».

Pour préparer l'écriture de CORPUS CHRISTI, Pacewicz a aussi étudié le Nouveau Testament et lu sur Menocchio, un meunier italien du XVI siècle brûlé par l'inquisition en raison de ses points de vue non orthodoxes. Il était très dévoué à Dieu mais très critique à l'égard de la richesse de l'Eglise Catholique et disait : « Je crois que l'esprit de Dieu habite en chacun de nous… et je crois aussi que toutes les personnes qui ont étudié peuvent devenir prêtres sans avoir été ordonnées, parce que c'est un business ».

L'esprit de Menocchio est certainement très présent dans CORPUS CHRISTI. Certes, la figure centrale de Daniel (incarné par Bartosz Bielenia, une star en devenir qui incarne magnifiquement la dualité de son personnage) débute son imposture par égoïsme. Pourtant, c’est un vrai chrétien qui finit par faire davantage pour sa communauté – un village en deuil après un accident de voiture qui a tué un grand nombre de jeunes – que son prédécesseur.

D'après Pacewicz, le film décrit ce qui pourrait arriver à l'Eglise Catholique si elle retournait à ses racines de solidarité et une structure plus démocratique. Le scénariste précise: « Ce qui est bizarre dans le catholicisme c'est que c'est une organisation très hiérarchique, ce qui n'a pas beaucoup de sens quand on lit le Nouveau Testament ».

CORPUS CHRISTI jongle avec les registres de manière impressionnante, passant de la comédie, au drame et en ajoutant des éléments de thriller. « C'était le plus difficile pour moi – équilibrer les genres. J'avais peur que le film perde de sa force à la fin, qu’il manque d'intensité à cause de tous ces aspects ».

« Mais j'ai senti que c'était la seule façon de raconter l'histoire – avoir ces moments rigolos où on rit quand on voit quelqu'un qui nous ressemble dans une situation très particulière. Ces rires sont des moments d'empathie avec ces personnages qui seraient autrement trop éloignés ».

Pacewicz est reconnaissant de l’aide que le réalisateur Jan Komasa lui a apporté pour ces changements de ton. « Il a fait un travail énorme car il a apporté de l’équilibre, alors que j’avais du mal avec cela au moment de l’écriture. Il a créé les conditions d’un chaos où les acteurs vont improviser pendant 10 minutes une scène qui au bout du compte est bien éloignée des trois phrases dont on avait besoin à la base ».

« Sur le tournage, je me disais ‘Qu’en est-il de mon scénario ?’. Mais en regardant les prises quotidiennes, je pensais ‘Ah, c’est ça. Tout va bien’. Je ne sais pas si c’est une intuition ou si c’est prévu, mais il crée cette atmosphère organique où les choses se passent comme il le voulait sans que personne ne l’ait prévu ».

Tous les deux vont collaborer de nouveau sur SUICIDE ROOM : THE HATER, un projet totalement différent puisqu’il s’agit de la suite du thriller de Komasa de 2011. « Peu après le début du travail sur CORPUS CHRISTI, Jan m’a demandé si je voulais travailler sur un autre film. C’est l’histoire d’un jeune originaire d’un petit village qui se trouve dans une famille élitiste parce qu’il est amoureux de la fille ».

« Il est rejeté par cette famille de la ville et cherche à se venger à travers son job dans une agence spécialisée dans le buzz marketing qui crée des fake news et détruit la vie des gens. C’est un projet très différent de CORPUS CHRISTI. Ce n’est pas calme. Mais plus virulent ».

On espère que CORPUS CHRISTI suivra la voie des récentes productions polonaises très acclamées (COLD WAR de Pawel Pawlikowski, 2018, a eu 3 nominations aux Academy Awards). Au sujet du cinéma national, Pacewicz précise : « Il y a quelques années, CORPUS CHRISTI aurait pu passer inaperçu. A l’époque il n’y avait pas de vendeurs intéressé par le cinéma polonais. C’était plutôt ‘oui, envoie-nous un lien, on regardera peut-être’ ».

« Il y a eu un grand changement depuis 5 ans, un bond. Et je crois que c’est en partie grâce à Pawlikowski et ses succès récents. Aujourd’hui, quand tu as un projet en Pologne– et tu arrives à avoir un peu de renommée internationale – des gens à Los Angeles vont être au courant ».

Pacewicz était très élogieux du Label Europa Cinemas accordé à CORPUS CHRISTI. Attribué par un jury d’exploitants membres du réseau, le but de ce prix est d’accroître la promotion et la circulation des films récompensés, notamment leur durée de vie dans les salles. Et cela à travers divers mécanismes, notamment un système de bonus qui encourage les exploitants du réseau à programmer et garder le film à l’affiche. 

« Ces prix sont importants. Des films comme CORPUS CHRISTI, intimes et peu tape-à-l’œil, peuvent se perdre dans l’accablante offre de contenus d’aujourd’hui. De ce point de vue, ce prix peut changer la carrière d’un film comme le nôtre ».

Pacewicz est très content du fait que CORPUS CHRISTI sorte en salle. « Il est difficile selon moi de complètement vivre un film sans le voir dans une salle de cinéma. C’est un rituel tout à fait différent et nécessaire étant donnée le faible temps de concentration que nous cultivons dans le monde d’aujourd’hui. Il serait difficile de regarder CORPUS CHRISTI sur sa tablette en train de faire de la course à pied ».

« Je crois que c’est une histoire qui peut trouver un écho auprès de cultures différentes et de gens issus des milieux divers. Ce prix est un pas de plus vers le partage de notre film avec le public d’Europe et du monde entier ».

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Stephen Porzio