Portraits et récits

Portraits et récits

Cinéma Les Carmes, Orléans

Michel Ferry

Avril 2016

Au cours des 12 derniers mois, les films européens qui ont connu le plus de succès sont Mustang de Deniz Gamze Ergüven, Mia Madre de Nanni Moretti et La isla minima d’Alberto Rodríguez. Ce dernier fut une grande surprise, un miracle pour un film magnifique sorti durant la période calme de l’été ! Il a rempli notre été 2015.

Cinéma Les Carmes, Orléans
« Les Carmes » est LE cinéma indépendant d’Art et d’Essai d’Orléans. Il est classé « Art et Essai », il fait partie du réseau Europa Cinemas et est également labélisé « Recherche/Découverte », « Patrimoine/Répertoire » et « Jeune Public », ce qui signifie que le cinéma projette un grand nombre de films destinés à un public jeune, ainsi que des œuvres de reprise présentant un intérêt historique et ambitieux de manière à se qualifier pour ce label. La qualification « Art et Essai » avec près de 98% de films « recommandés » est une manière de récompenser le travail accompli autour des œuvres que nous projetons. Elle symbolise également un certain esprit dans la démarche de programmation. Nous croyons que regarder un film est autant une activité culturelle qu’un divertissement.
 
Mais c'est aussi une affaire, et en 2015, nous avons eu des recettes brutes de plus de 620 000 € pour plus de 130 000 spectateurs, ce qui représente une augmentation de 5% par rapport à 2014. Au cours des 12 derniers mois, nos films européens qui ont connu le plus de succès sont Mustang de Deniz Gamze Ergüven, Mia Madre de Nanni Moretti et La isla minima d’Alberto Rodríguez. Ce dernier fut une grande surprise, un miracle pour un film magnifique sorti durant la période calme de l’été ! Il a rempli notre été 2015. 
 

L’une des particularités du cinéma Les Carmes est qu’il appartient en partie en copropriété à ses employés. Nous avons acheté le cinéma en 2013 et comme la plupart des cinémas d’auteur, nous avions un problème d’image. Un grand nombre de spectateurs français semble penser que les cinémas d’Art et d’Essai ne sont destinés qu’à un public plus âgé et ne programment que des films ennuyeux à voir dans des fauteuils inconfortables. De plus, les chaînes de cinéma et les multiplexes ont commencé à élargir leur sélection et à ajouter aux films grand public des films plus pointus et films d’auteurs. L’aspect positif est qu’ils contribuent à rendre des films d’auteurs films grand public (ou est-ce le contraire ?), mais en même temps, ils marginalisent les cinémas d’Art et d’Essai et rendent l’accès à ces films exclusif,  voire impossible, dans certaines villes.

Rajeunir l’image des cinémas d’auteur

Ainsi, afin de changer d’image, nous avons rapidement décidé de changer les fauteuils dans nos trois salles et de renouveler le décor du cinéma. Vu que nous ne pouvions pas nous permettre de fermer – si ne nous voulions pas perdre notre public et les voir partir dans l’un des 27 écrans Pathé à Orléans et ses environs – nous avons gardé un écran en service durant l’été et programmé Winter Sleep. Nous avons aussi diversifié notre sélection. Bientôt, nos choix éditoriaux sont devenus plus cohérents et les entrées ont commencé à augmenter, ce qui a rendu les films plus accessibles. Toutefois, l’opération nationale « 4 € [la place] pour les moins de 14 ans » a représenté un grand défi pour nous dans le cadre de notre stratégie visant à regagner de nouveaux jeunes publics : avec ce tarif, les grandes chaînes de cinémas sont devenues encore plus attrayantes qu’elles ne l’étaient, car elles semblent tout à coup moins chères. Nous avons alors également baissé nos prix à 3,50 €, une initiative couronnée de succès auprès de notre très jeune public et chez les enfants de moins de 12 ans accompagnés par leurs parents. Mais le public des adolescents nous manquait encore. 

Nous avons identifié deux problèmes : cette catégorie de spectateurs semble penser que les places de cinéma sont chères et que les films que nous programmons n’ont pas un grand impact de marketing. En ce qui concerne le prix, il est ironique de penser que les cinémas d’Art et d’Essai en France sont considérés chers alors que nous proposons souvent un prix en deçà des chaînes de cinéma. Et nous dépensons et investissons plus dans la sortie d’un film que les chaînes de cinéma qui souvent facturent aux distributeurs des frais de bandes annonces et pour les affiches…

En ce qui concerne les stratégies de marketing, il est rapidement devenu clair que nous devrions nous charger nous-mêmes de notre promotion et de notre publicité. Nous avons alors décidé d’organiser un festival destiné aux adolescents et pré-adolescents, ce qui nous donnerait l’occasion de cibler ce public particulier et de faire de la publicité pour plusieurs films. Le défi est de ne toutefois pas éloigner notre public d’habitués « anciens ».

Nous avons finalisé ce projet début 2016 et l’avons baptisé « New Waves, le festival des 12-25 ans et plus ». Plutôt que de projeter les films pour adolescents habituels, nous avons sélectionné des films d’auteur et films de genre car nous pensons que l’une de nos missions principales est de susciter la curiosité. Selon nous, des films tels que Mustang, Bande de filles, La isla minima, Blue Ruin, Green Room et Midnight Special peuvent et devraient plaire à un public jeune, mais que la stratégie marketing de ces films ne ciblait pas leur catégorie d’âge. La plupart des adolescents ignorent leur simple existence, et une part de notre mission est de les en informer, de leur faire savoir qu’il existe un autre type de cinéma que X-Men et Avengers ! 

Malgré nos débuts difficiles, nous avons réussi à doubler le pourcentage de notre public d’adolescents durant le festival. Le plus grand succès du festival étant… Blade Runner ! Nous nous réjouissons de renouveler l’expérience l’année prochaine, mais aussi de continuer à trouver de nouveaux moyens de renouveler et diversifier nos publics et de renforcer l’expérience cinématographique.

Michel Ferry, Directeur et programmateur

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www.cinemalescarmes.com

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